Soif - Amélie Nothomb | Édition : Albin Michel

Aucune sensation n'évoque à ce point celle que je veux inspirer que la soif. Sans doute est-ce pour cela que nul ne l'a éprouvée autant que moi. (...) L'amour que vous éprouvez à cet instant précis pour la gorgée d'eau, c'est Dieu. Je suis celui qui arrive à éprouver cet amour puor tout e qui existe. C'est cela, être le Christ.

J’aime beaucoup Amélie Nothomb, d’habitude. Je suis un peu mi-figue mi-raisin concernant son 28e livre « Soif ». Il y est question de Jésus, de la condition humaine et de tenter d’expliquer ce que c’est que de réellement vivre. 

« Tous les livres que j’ai écrits avant celui-ci étaient des exercices de musculation destinés à m’entraîner à écrire ce livre. Il y avait préméditation, je savais que je voulais écrire mon livre sur Jésus, que c’était ce qui m’importait. Si je n’ai cessé de repousser l’échéance, c’est que je ne me sentais pas assez musclée, je n’étais pas encore l’athlète de l’écriture que je rêvais d’être. »* voilà ce que dit l’auteure de son livre.

Eh bien, je crois qu’elle avait raison. 

J’ai aimé et détesté ce livre. 

Je l’ai aimé car c’est avant tout une belle performance littéraire. Il fallait avoir les épaules sacrément solides pour s’attaquer à ce symbole religieux. De plus, il fallait être munie d’un arc garni de plusieurs flèches généreuses, pour produire cet essai. On peut difficilement qualifié ce livre de roman du fait du nombre de pages blanches, de la taille de la police et du nombre de page tout court. Ce livre mêle humour, philosophie, sociologie, poésie, fiction et d’autres genres littéraires. Enfin, il fallait aussi avoir une certaine audace pour prêter à Jésus, les traits d’un homme « tout ce qu’il y a de plus normal ». Un homme en proie au plaisir et au tourment de la condition d’être homme : sentir, ressentir, prendre du plaisir, avoir peur, pêcher, même maudire, douter de lui mais aussi de la volonté divine… 

Toutefois, il fallait aussi être sacrément culottée pour oser se mettre à la place de Jésus.

  Je suis croyante et c’est perturbant, pour ne pas dire blasphématoire de lire cet ouvrage. Le portrait dépeint par Amélie Nothomb mêle des pensées et réflexions qu’aurait eu Jésus-Christ, parfois tellement contemporaines, osées, que cela en est dérangeant voir peu crédible. Sans parler des libertés qu’elle a prise avec certains passages de la Bible. Par exemple, le fait d’attribuer une relation sexuelle, bien consommée entre Jésus et Marie-Madeline. Rien que ça. On ne parlera pas non plus de la tentative un peu bancale d’expliquer le processus par lequel Jésus réalise ses miracles.  Il est décrit comme un mélange de détachement de l’esprit du corps, de lâcher prise, pour puiser une énergie mystique qui serait à l’origine des miracles réalisés. Les miracles, ça ne s’expliquent pas. C’est bien pour cela qu’il s’agit de miracles. 

Ce sont des heures de catéchisme et de messes que ce livre est venu ébranler et je dois l’avouer… questionner. Fini l’image du fils de l’homme inaccessible, tel un mythe, ou une légende qui m’a été enseigné. Fini le côté sacré des miracles accomplis, la belle image sans tâche de demi dieu et de ses commandements et enseignements. Il en est de même pour les apôtres, Marie, Joseph, etc… Quelque chose a été cassé, même si mes croyances restent solides. La manière dont Amélie Nothomb a choisi de raconter les dernières heures de la vie de Jésus lui donne donc un peu d’humilité. Au point où on en vient parfois à s’identifier dans ses interrogations et dans sa façon à lui de définir ce que c’est que de vivre : avoir soif. 

C’est peut-être une des choses appréciables tout de même dans cet ouvrage : sa capacité à m’avoir poussé à m’interroger. 

Avis aux chrétiens catholiques, gardez l’esprit ouvert en lisant cet ouvrage et ne le faites peut-être pas lire à n’importe quel croyant. Moi en tout cas, je sais que je ne l’offrirai jamais à mes parents et membres plus âgés de ma famille. Je n’ose imaginer le nombre de « Notre Père » qu’ils me demanderaient de réciter pour tenter de laver le pêché qu’a été la lecture de ce livre !

Aux aficionados d’Amélie Nothomb, foncez, vous ne serez pas totalement déçus. Preuve en est : je vais tout de même lire son 29e roman, « les Aérostats ». Vous resterez peut-être sur votre faim avec « Soif », il se lit très (trop ?) rapidement. 

*Amélie Nothomb : « Ce livre, je l’ai écrit au corps »France Culture, 24, septembre 2019

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