Crépuscule du tourment 1&2 – Léonara Miano
Crépuscule du tourment 1 & 2 - Léonara Miano | Édition : Grasset
Les travaux forcés. Les déplacements de populations. Le code de l’indigénat. La ségrégation raciale. Le génocide des Hereros. Le nazisme déjà en gestation qui les a parqués dans des camps de concentration. Oui. Je leur parle de tout cela. Une colère toute légitime monte en eux. Je les calme en expliquant que nous n’avons pas le temps de haïr. Nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher ainsi les forces qui doivent nous servir à rebâtir. Je sais de quoi je parle. J’ai connu l’irrépressible fureur qui s’empare de ceux qui plongent dans les abysses de notre mémoire kémite. Cette douleur si terrible qu’elle se mue en désir de revanche. Coûte que coûte et sur-le-champ. La vengeance. Le cri : Pas de justice, pas de paix.
J’ai acheté les deux tomes de Crépuscule du tourment après avoir découvert Léonara Miano via une interview dans le podcast La Poudre.
Dans ces deux œuvres, on parle de colonialisme, de religion, de magie noire, de recherche identitaire, de traces laissées par l’esclavage, la découverte du sexe, les relations homme et femme enfermées dans des carcans traditionalistes. Et de tant d’autres sujets encore. 4 voix de femmes s’adressant à un seul homme : une mère, une soeur, une amante et une partenaire. Des tourments différents, des visions opposées, des peines et des douleurs pourtant similaires. Chacun des personnages s’exprime l’un après l’autre, suite à un événement tragique les impliquant tous. Elles abordent les violences dont leur corps et leur esprit ont été victime, à cause des hommes.
Dans une société où ces derniers dominent, on ne peut passer à côté de la position féministe prise par l’auteure qui dénoncent ces injustices.
Si la musique, le jazz pouvait être un livre, ce serait celui-là. Car on ne peut s’empêcher de trouver une certaine forme de poésie dans la manière dont leurs histoires sont relatées. Chaque mot est pesé, la narration est pensée, comme une partition dont les notes seraient enfermées dans une portée.
Le premier tome regroupe donc les histoires des quatre femmes.
Je pense que c’est plus la manière d’écrire de l’auteure, le choix des mots, la syntaxe (et aussi son absence) qui m’a plu plutôt que les thématiques abordées. Celles-ci restent néanmoins très riches et m’ont transmis des informations cruciales sur l’Afrique Noire, moi qui aie, à mon grand regret peu de contact avec mes ancêtres et ma famille. Elle est décrite loin des clichés traditionnels, et l’auteure n’hésite pas à décrier certaines pratiques ancestrales violentes encore pratiquées aujourd’hui. Je fais référence à cette sorte de « rite » de passage que les jeunes hommes font aux jeunes femmes par le viol en réunion. Le discours est le même pour ces bourreaux : « elle n’avait qu’à pas s’habiller comme ça ni venir me voir toute seule pour m’offrir un gâteau. Elle l’a bien cherché ». De toute manière, c’est toujours la faute des femmes non ?
Le second tome quant à lui donne la voix à cet homme, qui s’adresse à son tour à ces femmes.
Après un accident de la route suite à une violente dispute avec l’une des 4 femmes, il fait face à une lumière mystique qui l’entraîne dans un voyage introspectif. L’occasion d’affronter la part sombre de lui-même, ce monstre l’ayant poussé à violenter chacune de ces 4 femmes. Les morts prennent la parole, les ancêtres apportent leur enseignement, l’Histoire de l’Afrique se raconte et suintent de ses blessures aux plaies encore ouvertes. L’homme est confronté à ses origines, à ce qu’il a fui et fuit encore, comme son attirance pour un transsexuel. Il est donc également question ici de genre, de la manière dont l’homme conçoit sa place en tant que sexe fort, de masculinité donc.
Je les ai lus en 10 jours. Une écriture rythmée, car calée sur les mécaniques du jazz, recherchée, imprégnée de sentiments et d’émotions fortes. Des personnages authentiques, confrontés à des problèmes d’adaptation, d’acculturation, des conflits interculturels et identitaires, en quête de vérité, de leur origine et d’un sens à l’enseignement ancestral reçu de la mère patrie. Deux tomes édifiants.
Crépuscule du tourment 1&2 – Léonara Miano
Disponible sur Fnac