Fille, Femme, Autre - Bernardine Évaristo | Édition : Globe

« L’ “autre ” du titre peut être interprété de multiples façons. Il pourrait signifier que les femmes sont rendues autres dans certaines situations, du seul fait d’être des femmes, ou que certaines d’entre elles sont considérées comme autres parce qu’elles sont des femmes de couleur, ou queer/trans, ou prolétaires, ou immigrantes.» - Bernadine Évaristo

J’ai rencontré quelques difficultés pour écrire cette chronique littéraire, tant ce roman est riche, complexe et poétique. Il y aurait tellement de choses à dire, les thématiques abordées et les enjeux subtilement amenés dans ce livre sont si puissants.

Un avertissement néanmoins.

Amateurs de structure, de ponctuation bien placée, fuyez. Moi qui écris de la prose poétique et de la poésie moderne, je me suis facilement adaptée à l’absence de ponctuation. Après tout, il n’y en a pas non plus dans mon propre recueil. Tu es prévenu, pour apprécier cette lecture, il te faudra t’attacher plus à ce que l’oeuvre contient, qu’à ce qu’il lui manque. 

Bernardine Évaristo nous propose de plonger dans le tourbillon de vies de 11 femmes et 1 personne non binaire et transgenre, africaines, antillaises, noires pour la majorité, né.e.s en Afrique, ou à Londres, issu.e.s de tous milieux sociaux. Le tout, sur trois générations : la plus jeune des femmes a dix-neuf ans, la plus âgée en compte quatre-vingt-treize. L’auteure nous fait voyager entre Newcastle, Londres et Cornouailles. Parfois un peu plus loin, aux grés de ces 12 vies étendues sur 150 ans. Douze vies reliées par une pièce de théâtre, mis en scène par Amma, qui ouvre la présentation de ces 12 personnages. 

Le titre de la pièce La Dernière Amazone du Dahomey et son sujet donne un avant-goût de la thématique principale de ce livre. 

Si tu ne le savais pas, Les Amazones du Dahomey (appelé aujourd’hui le Bénin) constituaient une troupe d’élite de femmes soldats, chargées de la protection rapprochée du roi. Ces femmes étaient des féministes avant l’heure, se targuant d’une force supérieure à celle des hommes et d’aptitudes au combat inégalées.

Et c’est bien le féminisme qui est au coeur de cet ouvrage, sous toutes ces expressions, ses questionnements, ses zones d’ombres, ses contresens et ses limites.

Dans ce roman, on parle également racisme, féminisme et afroféminisme, homophobie et transphobie, identité de genre et quête identitaire. Ce sont des filles, des femmes et des iels, qui se questionnent, se construisent, aiment et évoluent principalement dans un Royaume-Uni partagé entre intégration et rejet de ses immigrés. Des femmes qui aiment, souffrent, s’endurcissent, sillonnent à travers la vie au gré des êtres qu’elle leur arrachent ou qu’elle leur fait croiser.

Il y a donc Amma, la cinquantaine, dramaturge lesbienne, marquée par des années de rébellion contre le monopole exercé par les hommes blancs hétérosexuels sur l’art et le théâtre. Sa fille Yass, rayonnante de vie, adolescente de dix-neuf ans, à l’aise avec les évolutions identitaires de son époque, en construction de la sienne. On croisera également sa marraine, Shirley, amie d’enfance d’Amma, enseignante dont les rêves de forger de brillants élèves à l’avenir prometteur ont été broyés par les mouvements politiques. Il y a également Dominique, amie fidèle et ex-amante d’Amma, jusqu’à ce qu’elle parte vivre aux États-Unis, aveuglée par un amour qui la transformera et remettra en question ses acquis sociaux et identitaires. 

Et puis toutes les autres protagonistes de ces biographies croisées.

Je pense qu’il faut saluer l’adresse de l’auteure de nous faire entrer tour à tour dans les têtes des protagonistes, mais également dans celles des personnes qui les entoure, dont parfois des hommes. C’est intéressant de confronter les points de vues de deux personnes, liées par le sang, l’amitié ou l’amour, qui pensent se connaître alors que cela n’est pas le cas. J’ai également apprécié l’apport culturel et social incorporé dans ce livre. On en apprend beaucoup sur l’Afrique, la politique anglo-saxonne, les schémas autodestructeurs de pensées de femmes qui se veulent fortes, le sont, tout en étant magnifiquement vulnérables à la fois. 

Bien qu’il couvre une période de 150 ans, c’est un livre moderne qui donne la voix à des protagonistes encore peu présents dans nos romans contemporains. 

À la lecture des dernières pages, j’ai eu envie de revoir certaines choses que je pensais acquises sur le féminisme, d’en savoir plus sur les identités de genres, de questionner certaines de mes croyances limitantes liées au fait d’être et de vivre en tant que femme et femme noire. Pas besoin de l’être cependant pour trouver un intérêt à lire cet ouvrage. Il suffit de vouloir comprendre ce que c’est que d’être une femme – ou de ne pas vouloir en être une – dans un monde d’hommes. 

Il aura fallu 8 romans à Bernadine Évaristo pour que son livre soit traduit en français et donc arrive jusqu’à nous. Je ne la connaissais pas avant, mais il est certain que j’attends ses prochaines oeuvres avec impatience. 

Fille, Femme, Autre – Bernardine Évaristo

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