Le cœur battant de nos mères – Britt Bennett
Le cœur battant de nos mères - Brit Bennett | Édition : Autrement
De nos jours, une fille doit s'approcher tout près pour savoir si son homme est un salopard, et à ce moment-là, ce sera peut-être trop tard. Nous avons été des jeunes filles. C'est excitant d'aimer quelqu'un qui ne pourra jamais vous aimer en retour. C'est une libération, en un sens. Il n'y a aucune honte à aimer un salopard, à condition de tirer un trait dessus, rapide et définitif. Une femme perdue s'accroche à un salopard, ou pire, elle le laisse s'accrocher à elle. Il l'épuisera jusqu'à ce qu'il se fatigue. Il grimpera sur ses épaules et elle ploiera sous le poids de son amour pour lui. Ce sont ces femmes qui nous inquiètent.
N’espérez pas connaître la fin, ou pensez avoir une idée du déroulement de l’histoire. Avec « Le cœur battant de nos mères », plus la lecture avance, moins nous sommes sûrs de son issue et plus les questions se forment dans notre esprit. N’espérez pas non plus trouver des réponses à toutes ces questions, beaucoup resteront en suspend une fois la lecture achevée. Sans doute, est-ce à cela qu’on reconnaît la force d’un roman : sa capacité à aller au-delà du simple récit, sa capacité à nous émouvoir, à nous pousser à déconstruire certaines croyances sociales et à nous questionner.
Nadia a 17 ans, est noire, a une vie magnifique toute tracée puisqu’elle s’apprête à rejoindre une université prestigieuse.
Chose qui n’était jamais arrivée dans la communauté noire, croyante, dans laquelle elle a grandi. Mais, la mère de Nadia met fin à ses jours. Le voile de la solitude, du désespoir, de la remise en question de l’amour de sa mère pour elle tombe sur les épaules fragiles de Nadia. Alors, pour noyer sa peine, l’enterrer, l’oublier, ne pas la confronter, Nadia commence à fréquenter Luke le fils du pasteur de cette communauté bigote, dont elle a toujours été amoureuse. Elle perd sa virginité avec lui, pour ressentir quelque chose. N’importe quoi, sauf la douleur de la perte de sa mère.
Nadia a 17 ans lorsqu’elle tombe enceinte et qu’elle décide d’avorter, sans se demander, sans lui demander s’il faut le garder. Après tout, Nadia ne va sûrement pas reproduire ce qu’avait fait sa mère lorsqu’elle a eu aussi 17 ans : garder son enfant. À la suite de cette nouvelle perte, Nadia se lie d’amitié avec Aubrey.
À leur manière, chacun des trois adolescents est brisé et se sent profondément seul.
Nadia qui vient de perdre sa mère, Luke qui vient de voir sa carrière de footballeur se briser en plein vol et Aubrey…Audrey brisée à peine sortie de l’enfance par un beau-père abusif. Ainsi, c’est autour de ces blessures que se créent les débuts des différents liens qui les lient.
Et puis Nadia s’en va poursuivre ses rêves et fuir ses traumas. Elle fuit son père rongé par le deuil, avec qui elle ne parvient pas à communiquer. Elle laisse derrière elle les gravats, les plaies à vifs, et les conséquences de cet avortement sur ceux qui viennent d’entrer dans sa vie et ceux qui y étaient déjà. Le décor est planté.
L’ensemble de l’histoire décrit donc sur une dizaine d’années l’impact de la décision de Nadia sur elle, son père, Luke, Aubrey et le reste de la communauté afro-américaine qui l’a vue grandir, se briser et fuir.
Même si la narration se centre autour des relations d’amour, d’amitié et de haine entre Nadia, Luke et Aubrey, en réalité, il y a 4 protagonistes dans ce roman.
En effet les Mères, dont on entend les voix à chaque début de chapitre, participent à nourrir l’histoire. De leurs voix, témoins directes et indirectes, elles apportent un point de vue critique extérieur, sur les choix de vies et les interactions entre les trois personnages. Les Mères savent, elles jugent, condamnent, avertissent, car les Mères ont vécu, ont été filles avant d’être mère ou femme. Elles se complaisent dans leurs connaissances et leur suffisance.
L’avortement a des conséquences sur tout un chacun et traite plusieurs questions.
Qu’est-ce qu’être mère quand on a avorté, eu un enfant par accident, qu’on désespère de pouvoir en concevoir un… tant du point de vue de la femme que celui de l’homme. Le livre passe au crible le rôle de la mère : est-on une mère avec ou sans enfant ? Faut-il avoir un enfant à tout prix si c’est pour le haïr, le négrier, le priver d’amour, le délaisser ? Un enfant accident est-il un enfant aimé ? Faut-il reproduire le choix de nos mères ou les condamner ? Qu’on soit pro ou contre l’avortement, à travers les choix réalisés par chacun des personnages et la manière dont chacun est hanté par le fantôme de ce Bébé, on s’interroge sur le désir ou non de maternité. Il est décortiqué, du point de vue des personnages principaux comme secondaires : tout le monde a son mot à dire et subit indirectement ou directement le choix de Nadia.
J’ai apprécié ce roman pour tous ces questionnements.
J’ai aimé l’hommage et la place donnée à ces Mères, empreinte d’une sagesse reconnue, redoutée, reniée et défiée. Enfin, j’ai également aimé ce roman pour ses personnages bruts, compliqués, auxquels on s’attache, qu’on condamne et qu’on ne comprend pas parfois, tout à la fois. Il m’a fallu un peu de temps pour rentrer dedans, mais la poésie, l’articulation des vies et ces questionnements ont fini par me séduire.
Le cœur battant de nos mères – Brit Bennett
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