Les impatientes - Djaïli Amadou Amal | Édition : Emmanuelle Collas
Ainsi a-t-on soigné mon corps, mais pas mon esprit. Personne n’a pensé qu’il existait en moi des blessures plus profondes et plus douloureuses. On me répéta qu’il ne s’était rien passé de dramatique. Juste un fait banal. Rien d’autre qu’une nuit de noces traumatisante. Mais toutes les nuits de noces ne sont-elles pas traumatisantes ? On me dit aussi que je n’avais rien compris aux conseils de mon père. Je dois soumission à mon époux !
Cet extrait du livre « Les impatientes » de Djaïli Amadou Amal, donne une idée des éléments abordés dans ce sublime récit. C’est un roman de fiction inspiré de faits réels. Nous sommes donc prévenus.
3 femmes Peules camerounaises, aux destins liés par le mariage forcé qu’elles sont contraintes d’accepter afin de respecter les traditions de leur communauté. Ces 3 femmes clament leur besoin de liberté. 3 femmes brisées psychologiquement et physiquement par les injonctions prononcées par les hommes. Des hommes ayant le droit de vie ou de mort sur elles au nom de quoi ? Des traditions qui décrètent qu’une femme se doit d’être soumise à la volonté de son époux, mais également à celle de son père, oncle ou frère. Comment enjoindre des femmes brutalisées, privées d’amour, de leur vie tout en entière, à faire preuve de patience ? On le leur répète depuis l’enfance, mais qui peut être prête à vivre en enfer, en attendant patiemment d’en être peut-être un jour délivrée ?
Les « impatientes » est un ouvrage de plus dépeignant les violences physiques et morales que subit la femme lorsqu’elle est prise en étau entre traditionalisme et modernité.
Elles ne trouveront pas de réconforts ni de soutien, auprès des hommes de leur famille, mais encore moins auprès des femmes, leurs mères, tantes ou amies. Toutes, bien qu’anciennes victimes des mêmes barbaries, les incitent à cette vertueuse patience. Il n’y a pas de jugement dans le ton narratif choisi par Djaïli, pas d’animosité envers son peuple et ses origines, « juste » le récit d’une vérité nue et implacable.
J’ai dévoré ce livre en moins de 4heures, tant sa lecture est chaude, captivante et onirique. Je te le recommande vivement.
Beaucoup de sujets sont brillamment traités dans ce roman de fiction.
On y parle des rapports hiérarchiques entre les sexes, mais aussi entre les femmes elles-mêmes, et les hommes d’une même famille. On aborde subtilement également la question de la polygamie, de l’hypocrisie sauvage, de la jalousie poussant au meurtre. D’autres, le sont de manière plus directe : la fausse couche, le suicide, les codes de bonnes conduites et l’importance du regard et du jugement. Ils sont ainsi décortiqués et décriés. Le tout avec subtilité, passion et brutale transparence. Les voix de ces 3 femmes sont différentes, mais leur peine est commune.
DjaÏli Amadou Amal mérite totalement son statut de conteuse et sa renommée déjà solidement ancrée en Afrique. J’ai aimé la manière dont l’auteure a réussi à créer 3 personnages distincts. Des protagonistes qui ont des personnalités et motivations différentes concernant le mariage forcé. Pourtant, elles se réunissent dans leur souffrance et leur révolte contre ces traditions qui les entravent au corps et au coeur.
La lecture est facile, rythmée, douloureusement colorée.
Ramal, indépendante et impertinente, qui aurait pu volontiers respecter les traditions grâce à un mariage d’amour, mais qui a été privée de son fiancée. Il y a aussi Hindou, admirée pour sa docilité, mais d’aucune utilité face au caprice et crises de violence de celui à laquelle on l’a enchaîné. Et enfin, Safira, heureuse en ménage depuis une quinzaine d’année. Jusqu’à ce que la polygamie ne vienne menacer son bonheur, la transformant en tortionnaire à son tour, consumée par la jalousie. Pour échapper à ces mariages forcés et à leur conséquences sur leur vie respectives, elles appelleront au secours, elles chercheront refuge auprès des leurs, de ceux qui leur sont les plus chères. Sans succès et avec pour toute réponse, encore et toujours : fais preuve de patience.
Quand on sait que les Peules sont présents sur près de quinze pays et représentent une population de près de 45 millions de personnes, il m’est difficile de songer à la quantité de souffrance endurée par tant de femmes. Au nombre d’âmes à qui l’on impose d’être patiente, impuissantes.
Les impatientes – Djaïli Amadou Amal