Beloved - Toni Morrison | Édition : 10/18 Christian Bourgois

Que tout Blanc avait le droit de se saisir de toute votre personne pour un oui ou pour un non. Pas seulement pour vous faire travailler, vous tuer ou vous mutiler, mais pour vous salir. Vous salir si gravement qu'il vous serait à jamais impossible de vous aimer. Vous salir si profondément que vous en oubliez qui vous étiez et ne pouviez même plus vous en souvenir. Et qu'alors même qu'elle, Sethe, et d'autres étaient passés par là et y avaient survécu, jamais elle n'aurait pu permettre que cela arrive aux siens. Le meilleur d'elle, c'était ses enfants. Les Blancs pouvaient bien la salir, elle, mais pas ce qu'elle avait de meilleur, ce qu'elle avait de beau, de magique -la partie d'elle qui était propre.

D’une certaine manière, on pourrait dire que tout le roman tient à cet extrait, criant de vérité et de réalité. 

On m’avait beaucoup parlé de Toni Morrison. 

On m’a fait l’éloge de son style, ses messages, ses combats concernant l’afroféminisme, son positionnement, ses ouvrages littéraires bouleversants. J’avais déjà lu un de ses ouvrages, « Tar Baby », dont le style littéraire m’avait déjà perturbé, me demandant un effort de concentration pour suivre le déroulement de l’histoire. Cela fut aussi le cas avec ce nouvel ouvrage de l’auteure américaine, « Beloved ».

Inspirée d’une histoire vraie, Toni Morrison relate à travers cet ouvrage un pan sanglant de l’histoire américaine. Nous sommes dans les années 60, après la guerre de Sécession. Sethe, esclave noire, réussit à fuir la concession dans laquelle elle vient de vivre plusieurs événements traumatisants. Mais ses maîtres la rattrapent et, refusant de faire vivre à ses enfants ce qu’elle-même a vécu, Sethe se rend coupable d’infanticide. Crime impardonnable aux yeux de tous, de ses proches, comme de la communauté dans laquelle elle venait d’arriver pour prendre asile. Mais peut-on condamner une mère de refuser que ses enfants vivent les atrocités qu’elle a endurées ? Le fantôme de celle-ci s’installe alors dans la maison dans laquelle vit ce qu’il reste de la famille et hante impitoyablement chacun des membres.

« Beloved » de Toni Morrison, est un ouvrage qui en désarmera beaucoup. 

Déjà par le style : les analepses sont extrêmement nombreuses. On enchaîne les retours vers le passé de manière brutale, sans préavis, au gré des souvenirs traumatisants qui refont surface dans l’esprit des protagonistes. Beaucoup seront aussi désarmés par la douce violence de certains passages. Par le chant de la douleur, de l’espoir, de la miséricorde, de la honte et de l’abandon qui marquent au fer rouge les protagonistes. J’en ai lu des livres sur l’esclavage, je pensais être rodée, la peau cuirassée, parée à toute nouvelle description de la cruauté humaine et es ravages psychologiques que l’on se transmet génération après génération.

Mais non, avec « Beloved », on aura toujours le coeur qui se serre. Et après tout, est-ce si grave de continuer à s’émouvoir, à compatir à la lecture des violences faites au nom de l’existence des races ? Une fiction qui aborde les traumatismes de l’esclavage, tellement puissants qu’une mère en vient à tuer son enfant pour que celle-ci ne subisse pas les atrocités qu’elle a connues. Tellement puissants qu’un homme préfère « être fou que de perdre la raison » pour continuer à survivre. Tellement puissants que même libres, on continue à chercher le sens réel de la liberté. 

J’ai aimé « Beloved » pour la poésie des mots et de l’histoire. 

Pour la profondeur de l’analyse des émotions des personnages, pour la fausse pudeur narrative des traumas : les mots ne sont peut-être pas dits, nous laissant le champ libre de pleinement interpréter et donc de ressentir. J’ai moins aimé « Beloved » pour la longueur de certains passages et l’absence ou les libertés parfois de ponctuation. – ce qui est comique, dans la mesure où je n’en ai presque pas non plus mis dans mon recueil « au-delà de nos maux ».

Histoire, spiritualisme et résilience viennent se heurter pour peindre des relations conflictuelles, emplies d’amour, de haine, de honte, de peurs partagées par les hommes et femmes évoluant autour de Sethe. Beloved, l’enfant bien-aimée trop aimée de sa mère, au point de la tuer par amour. Beloved, l’enfant bien-aimée mal aimée qui reviendra donc se venger. Lisez « Beloved » pour la beauté et la poésie du style. Lisez « Beloved » pour comprendre la passion d’une mère pour ses enfants, ce « qu’elle a de plus beau, magique ». Enfin, lisez « Beloved » pour les scènes surréalistes, mêlant fresques historiques, spiritualisme, poésie, lyrisme narratif. Simplement, préparez-vous à détester et aimer tout à la fois cette histoire pour les réflexions et sentiments qu’elle fera naitre en vous.

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